Dans les forêts du Nord Laos, un thé engagé
- Lorela Lohan
- 3 days ago
- 12 min read
Cette interview est disponible en français et en anglais. Vous trouverez la version française en première partie, suivie de la version anglaise complète.
À la découverte de la Coopérative Nyot Ou Tea en 10 questions : un modèle laotien de thé agroécologique ancré dans son terroir.
Introduction
J’ai découvert les thés de la Coopérative Nyot Ou Tea en 2024, grâce à Lucas Ben-Moura, producteur de thé dans les Hautes-Pyrénées en France, qui m’a gentiment envoyé quelques échantillons à déguster. Leur finesse, leur complexité aromatique et leur caractère sauvage m’ont tout de suite interpellé.
En février 2025, j’ai eu la chance de rencontrer Anthony, Anna et les producteurs laotiens lors d’un événement organisé à l’Autre Thé, à Bruxelles. Leur engagement, leur passion et leur volonté de défendre un modèle durable et collectif m’ont donné envie d’en apprendre davantage.
Après leur participation au Prague Tea Festival cette année, la coopérative sera présente au Paris Tea Festival en juin prochain, pour faire découvrir ces thés rares issus de forêts anciennes. Voici l’interview complète, réalisée avec l’équipe de la coopérative.

1. Pouvez-vous nous parler des origines de la Coopérative Nyot Ou Tea ? Qu’est-ce qui a inspiré sa création et quels sont ses objectifs fondamentaux ?
Le Comité de Coopération avec le Laos (CCL) accompagne les producteurs de thé de Nyot Ou depuis 2008, dans le cadre d’un programme de développement rural visant à améliorer la sécurité alimentaire et les moyens d’existence durables des populations vivant en zones montagneuses.
Lors des études agraires menées dans la région, le thé est apparu comme une filière particulièrement pertinente : il s’intègre naturellement dans les systèmes agricoles locaux, sans concurrencer la culture du riz sur versant, et permet de valoriser les savoir-faire existants.
Le CCL a d’abord soutenu la production (création de pépinières à partir de graines issues de théiers forestiers) et la transformation (formations techniques, fourniture de matériel).
Puis, en 2020, après de nombreuses discussions avec les producteurs, la décision a été prise de créer une coopérative avec quatre objectifs principaux :
Élever les standards de production
Diversifier les débouchés commerciaux au-delà du marché chinois
Défendre les droits des familles des minorités ethniques
Faire reconnaître l’identité du terroir de Nyot Ou, dont les thés étaient auparavant revendus sous l’appellation de Yiwu (Chine)
2. Comment le terroir unique du district de Nyot Ou influence-t-il la qualité et la singularité de vos thés ?
Le terroir de Nyot Ou est exceptionnel à plusieurs titres. Les théiers y poussent dans des forêts riches en biodiversité, avec une grande variété génétique : certains arbres sont sauvages ou anciens, d’autres ont été sélectionnés et reproduits par semis sur plusieurs générations.
Le climat est typiquement tropical de type mousson, avec des saisons marquées : chaud et sec, puis humide et frais. La région partage d’ailleurs des caractéristiques géologiques et climatiques avec Yiwu, l’un des hauts lieux du puerh en Chine, situé juste de l’autre côté de la frontière.

Cette richesse environnementale se reflète dans les profils aromatiques des thés : des notes fraîches d’agrumes, de fruits à noyaux, de résines lorsqu’ils sont jeunes, qui évoluent vers des arômes plus profonds de bois, d’épices et d’encens avec l’âge. Là où certains puerh jeunes peuvent être astringents ou agressifs, les thés de Nyot Ou se distinguent par leur subtilité, leur équilibre tannique et leur texture soyeuse dès les premières infusions.
3. Quelles pratiques agroécologiques mettez-vous en œuvre ? Quel est leur impact sur la production et l’environnement ?
L’agroécologie est au cœur de notre démarche. La coopérative a défini une charte claire que chaque membre s’engage à respecter :
Zéro utilisation d’intrants chimiques (engrais, pesticides)
Maintien d’un couvert forestier au sein des jardins de thé
Préservation active de la biodiversité locale

Comme le décrit Marc Dufumier, agronome et fondateur du CCL, l’agroécologie ne se limite pas à opposer le "naturel" au "chimique" : elle repose sur la compréhension fine des agroécosystèmes. Nos producteurs observent les interactions entre les théiers, les arbres ligneux, les abeilles, les plantes herbacées, les champignons… pour favoriser la résilience naturelle du système.
Cette approche permet non seulement de préserver les écosystèmes forestiers, mais elle enrichit aussi la qualité sensorielle des thés. Chaque tasse reflète une harmonie vivante entre l’homme, la plante et la forêt.
4. Quels sont les plus grands défis rencontrés depuis la création de la coopérative ?
Le défi principal, c’est de garantir que les revenus issus du thé soient suffisants pour motiver les producteurs à rester engagés dans la coopérative. Beaucoup d’entre eux vivent dans des conditions précaires, où la priorité reste la sécurité alimentaire quotidienne.
Si la vente du thé n’est pas au rendez-vous, certains peuvent être tentés de migrer vers les villes pour trouver du travail, ou de signer des contrats de monoculture (bananes, canne à sucre) proposés par de grandes compagnies. Ces alternatives offrent des revenus à court terme, mais avec des conséquences environnementales, sanitaires et sociales très lourdes.
Notre mission est donc de renforcer les débouchés commerciaux, pour que le modèle coopératif reste viable, juste, et aligné avec nos principes écologiques.

5. En quoi la coopérative améliore-t-elle les conditions de vie des producteurs, notamment pour les communautés ethniques et les femmes ?
La coopérative permet aux producteurs de vendre leur thé à un prix juste, tout en valorisant leur savoir-faire et leur environnement. Comme les jardins sont intégrés à la forêt, ils contribuent également à la sécurité alimentaire des familles, grâce aux produits forestiers (fruits, tubercules, fougères, champignons, insectes).
Nous plaçons aussi les femmes au centre de la gouvernance. Elles représentent 40 % du comité de gestion et 50 % des membres. Elles participent activement à la prise de décision, à la production et à la gestion quotidienne. Leur implication est essentielle pour assurer l’équité et la durabilité du projet.
6. Quel rôle joue le CCL dans le soutien à la coopérative ?
Le CCL reste un partenaire clé. Il nous soutient sur plusieurs plans :
Formation des membres à la gestion administrative, comptable et organisationnelle
Accompagnement technique sur la transformation du thé (notamment pour le thé noir et blanc)
Mise en réseau avec d’autres producteurs pour partager des bonnes pratiques
Historiquement, les producteurs de Nyot Ou se concentraient sur le Sheng Puerh. Grâce au soutien du CCL, nous avons pu explorer de nouvelles méthodes et diversifier notre gamme.
7. Quelles difficultés rencontrez-vous pour développer vos marchés, au Laos et à l’international ?
Notre frein principal est le manque de moyens humains et financiers pour développer notre communication, notre marketing et notre prospection commerciale.
Nous avons de belles valeurs, un produit authentique et une histoire forte à raconter. Mais pour les faire connaître au-delà de notre région, nous avons besoin de partenaires, de temps et de ressources.
8. Est-il difficile de concilier développement économique et gestion écologique des ressources naturelles ?
Oui, c’est un équilibre délicat. Un succès commercial rapide pourrait conduire à une expansion incontrôlée des jardins de thé, mettant en danger l’écosystème forestier.
Nous traitons cette question de manière collective, à travers des discussions régulières entre membres. Chacun est conscient que la valeur de notre terroir repose sur sa préservation. Ce n’est pas la quantité, mais la qualité et le respect du vivant qui comptent.
9. Travaillez-vous actuellement sur de nouvelles initiatives ou projets d’expansion ?
Notre priorité est d’augmenter progressivement la production, tout en maintenant une qualité irréprochable. Nous explorons de nouvelles techniques de transformation, optimisons la logistique post-récolte et testons différentes périodes de cueillette pour enrichir la diversité de nos thés.
Parallèlement, nous cherchons à établir des liens solides avec des partenaires commerciaux qui partagent nos valeurs.
10. Quelle est votre vision à long terme pour la Coopérative Nyot Ou Tea ?
Dans les cinq à dix prochaines années, nous aimerions :
Atteindre un équilibre économique solide pour nos 67 membres actuels
Ouvrir la coopérative à de nouveaux producteurs motivés, issus de villages voisins
Faire reconnaître Nyot Ou comme un terroir d’exception, connu pour ses thés de qualité et ses engagements écologiques
Notre ambition est que la Coopérative Nyot Ou devienne un modèle de réussite locale et de durabilité, au service des communautés et de la forêt.

Conclusion
La Coopérative Nyot Ou Tea incarne une autre vision du thé : plus humaine, plus enracinée, plus respectueuse. À travers ses thés, elle raconte une histoire de terroir, de résilience et d’engagement.
Derrière chaque feuille se trouvent des femmes et des hommes qui cultivent la forêt autant qu’ils la protègent. Boire leur thé, c’est goûter à un équilibre rare entre nature et culture — et soutenir une démarche profondément inspirante. Les thès de la coopérative Nyot Ou Tea seront disponible au Paris Tea Festival, 14 - 15 juin 2025
Toutes les photos sont créditées à la Coopérative Nyot Ou Tea et au Comité de Coopération avec le Laos (CCL)
In the Forests of Northern Laos, a Tea Rooted in Purpose
This interview is available in both French and English. The French version appears first, followed by the complete English translation.
Exploring Nyot Ou Tea Cooperative in 10 Questions: A Laotian Model of Agroecological and Terroir-Driven Tea.
Introduction
In 2024, Lucas Ben-Moura, a tea producer in Hautes-Pyrénées, France, kindly sent me a few samples and introduced me to the teas of Nyot Ou Tea Cooperative. Their wild, elegant profiles immediately caught my attention.
In February 2025, I had the pleasure of meeting Anthony, Anna, and the producers coming directly from Laos during a producer event hosted at l’Autre Thé in Brussels. Their deep commitment to sustainable production and community development inspired me to learn more.
After attending the Prague Tea Festival, the cooperative will be present at the Paris Tea Festival this June to showcase their exceptional teas and share the story behind them. Here is our full interview.

1. Can you tell us about the origins of Nyot Ou Tea Cooperative? What inspired the formation of this cooperative, and what are its core objectives?
The Comité de Coopération avec le Laos (CCL) began supporting tea producers in Nyot Ou in 2008 as part of a broader rural development initiative aimed at improving food security and sustainable livelihoods in mountainous northern Laos.
Through agronomic and socio-economic assessments, tea emerged as a particularly promising sector: not only did it integrate well with local farming calendars (avoiding competition with rice cultivation), but it also leveraged the traditional knowledge and existing agroforestry systems of the region.
Initially, CCL focused on strengthening the tea value chain — supporting nursery development using seeds from ancient forest tea trees, improving post-harvest practices, and offering equipment and training. However, by 2020, it became clear that a producer-led structure was necessary to move forward. That’s when, through collaboration with local farmers, the Nyot Ou Tea Cooperative was established. Its founding goals are to:
Improve tea production quality and consistency
Develop and diversify commercial outlets, especially beyond the Chinese market
Advocate for the rights and visibility of ethnic minority communities
Protect and promote the identity of Nyot Ou's terroir, which had long been overshadowed and resold under Chinese branding, particularly as Yiwu tea
2. How does the unique terroir of Nyot Ou district contribute to the quality and distinctiveness of your tea?
Nyot Ou is an exceptional environment for tea cultivation. Many of the tea trees are either wild or ancient, and the region is home to forests rich in biodiversity. Over generations, farmers have carefully selected and propagated tea varieties from seed, resulting in a highly diverse genetic pool. Geographically, Nyot Ou borders the famed Yiwu tea mountains in China and shares similar monsoonal weather patterns — hot, dry seasons alternating with cool and wet periods — as well as comparable soil structures. These conditions create ideal circumstances for complex, nuanced teas.

The teas themselves reflect this environment. They often present aromatic profiles that are refined, yet distinct — with fresh notes of citrus, stone fruit, and resin when young, evolving into deeper tones of wood, spice, and incense as they age. Unlike many puerh teas, which can be astringent or aggressive in youth, Nyot Ou teas are generally more subtle and rounded, offering a balanced and elegant drinking experience even early in their maturation.
3. The cooperative emphasizes agroecological practices. Could you elaborate on these practices and their impact?
Our agroecological approach is rooted in a deep respect for the land and forest systems that sustain tea cultivation in Nyot Ou. The cooperative has adopted a set of principles that guide our members:
No use of chemical inputs or synthetic fertilizers
Tea gardens must retain or be integrated into a forest canopy
Farming activities must not negatively impact the existing biodiversity

We view tea not as a monoculture but as part of a living agroecosystem. Drawing inspiration from the work of agronomist Marc Dufumier, we aim to understand the interactions between tea plants, native trees, understory plants, insects, pollinators, and soil microbes. Our members observe and adapt to these interactions to foster natural resilience, rather than applying blanket solutions like pesticides or herbicides.
This approach not only maintains the health of the ecosystem but also contributes to the unique flavour and complexity of our teas — a reflection of their environment as much as their processing.
4. What are some of the biggest challenges you've faced in managing the cooperative?
One of our most significant challenges is ensuring that tea remains a viable economic activity for our members. Many of our producers live in vulnerable conditions and must secure their food and income daily. If tea does not provide enough return, they may be forced to seek other income sources, such as migrating for labour or accepting contracts for monoculture crops like bananas or sugarcane.

These industrial agricultural models often bring short-term gains but come with severe long-term consequences — soil degradation, loss of biodiversity, and negative health effects from pesticide exposure. For us, the challenge lies in building a sustainable and fair market for our teas that keeps our members engaged while protecting the environment they depend on.
5. How does the cooperative improve the livelihoods of producers, especially ethnic minorities and women?
The cooperative model empowers producers by creating a structure through which they can collectively add value to their tea, access new markets, and gain visibility. Because our tea gardens are maintained under forest cover, they not only produce tea but also preserve ecosystems that are essential to food security — providing wild fruits, edible ferns, tubers, mushrooms, and even insects.
Gender inclusion is also at the heart of our work. Women make up 40% of our management committee and 50% of the cooperative’s overall membership. They are active in decision-making and play key roles in both production and administration. Supporting women means supporting stronger families and more resilient communities.
6. What role does CCL play in supporting the cooperative?
CCL continues to be an important partner in our development. Their support includes:
Organizational development: training members in financial and administrative management
Technical support: introducing improved processing techniques through peer exchanges with other regions
Strategic guidance: helping us define long-term goals, build governance systems, and approach new markets
For instance, since Nyot Ou producers historically specialized in Sheng Puerh, CCL facilitated learning from producers of black and white teas to help us diversify our offering.
7. What are the main difficulties in expanding Nyot Ou Tea to wider markets?
Our greatest limitation is a lack of financial and human resources for marketing, brand development, and commercial outreach. The cooperative has strong values, great products, and a compelling story — but we need support to communicate it and access the right platforms, distributors, and consumers who appreciate our approach.
8. Have you faced challenges balancing growth with ecological sustainability?
Yes, absolutely. One of our concerns is that increased demand might lead to the uncontrolled expansion of tea gardens, which could upset the ecological balance that makes Nyot Ou tea so unique in the first place.
We address this through collective dialogue and awareness-building within the cooperative. Our members already understand that the value of their tea comes not just from quantity, but from maintaining the harmony between agriculture and forest — that balance is our greatest asset.
9. Are you currently working on new initiatives or expansion projects?
Right now, our focus is on gradually scaling up production without compromising quality. We are exploring improvements in processing, strengthening post-harvest infrastructure, and experimenting with different harvest times and techniques to bring out new dimensions in our teas. We’re also building connections with buyers and partners who share our vision and are willing to grow with us sustainably.
10. What is your long-term vision for the cooperative?
In the next five to ten years, we hope to:
Reach a stable economic foundation that ensures fair income for our 67 current members
Expand the cooperative to include new members from nearby villages who share our values and want to join the effort
Continue innovating in agroecological tea production and raise awareness internationally about Nyot Ou’s exceptional terroir
Our dream is for Nyot Ou Tea to become both a symbol of ecological excellence and a source of pride and prosperity for the communities who cultivate it.
Conclusion
Nyot Ou Tea Cooperative exemplifies what tea can represent at its best: a connection between nature, culture, and community. Their teas are not only delicious — they are meaningful. They tell a story of forest stewardship, cooperative resilience, and the power of traditional knowledge paired with innovation.
Meeting the team and learning about their work was a reminder that behind every cup of tea, there’s a landscape and a set of values worth protecting.
You can meet and purchase the tea Nyot Ou Tea at the Paris Tea Festival, 14-15 June 2025.
All photos are credited by Nyot Ou Tea Cooperative and Comité de Coopération avec Laos (CCL)
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